Actus
MARIE STÉPHAN, VICTOR CROUIN : PAROLES DE CHAMPIONS DE FRANCE
Événements 12/02/2024On prend les mêmes et on recommence : comme en 2023, Marie Stéphan et Victor Crouin ont remporté le championnat de France Élite le weekend dernier à Chartres.
Avant de les laisser repartir sur le circuit international, nous avons recueilli leurs impressions. Entretien.
Propos recueillis par Jérôme Elhaïk
Un an d'écart, mais (presque) la même photo
MARIE STÉPHAN : « J'AI DÉCIDÉ D'ÊTRE PLUS POSITIVE »
Même si elle a dû sauver des balles de jeu, contre Lauren Baltayan en demi puis Énora Villard en finale, Marie Stéphan s’est imposée sans perdre une manche en Eure-et-Loir
« Au début de la finale, j’étais tendue et j’avais le bras qui tremblait. Le match aurait pu prendre une autre tournure si Énora avait pris la tête. Gagner le premier jeu était très important, ensuite je me suis relâchée et je suis vraiment contente de ce que j’ai produit. J’ai rentré mes coups, et j’ai trouvé que je bougeais plutôt bien à l’avant du court. On m’a toujours dit que c’était mon défaut, et c’était sans doute vrai, mais je l’ai parfois pris comme une fatalité. Depuis quelques temps, j’ai décidé d’être plus positive, et mon discours interne (sic) pendant la finale est allé dans ce sens.
Avec Marie Stéphan, on a souvent droit à des célébrations démonstratives, et ça n'a pas manqué à Chartres
« Je pense que je vaux mieux que mon classement mondial. »
J’étais également très contente de gagner en 3 jeux contre Lauren en demi-finale. Elle est très déterminée, elle nous pousse à hisser notre niveau de jeu, et ça c’est top. Elle a eu d’excellents résultats ces derniers temps en PSA, et joue à un niveau plus élevé que son classement ne l’indique. Pour être honnête, je pense que moi aussi je vaux un peu mieux que mon classement mondial* … Trois titres de championne de France, ça commence à être pas mal ! C’est sûr que c’est plus facile quand Mélissa n’est pas là, et j’aimerais bien qu’elle participe l’année prochaine**. Mes célébrations ? Ce n'est pas absolument pas préparé, ça me vient instinctivement sous le coup de l'émotion. »
*Marie et Lauren sont respectivement 49ème et 81ème au classement de lundi.
**La numéro 1 Mélissa Alves était absente lors des deux dernières éditions, et s'était blessée en demi-finale contre Marie Stéphan en 2022.
Depuis quelques semaines, Marie s’entraîne en Espagne, à la Borja Golan Academy à Saint-Jacques-de-Compostelle
« En fait, j’ai énormément voyagé ces derniers mois sur le circuit international, j’ai passé beaucoup de temps dans les avions et ça m’a donné l’occasion de réfléchir et de pas mal cogiter (rires). Le trajet retour depuis la Nouvelle-Zélande a été particulièrement long ! Je me suis posé beaucoup de questions, j’en suis arrivé à la conclusion que j’avais besoin de changer d’environnement et à mon retour j’ai rendu mon appartement à Créteil. Je tiens à préciser que je m’entends très bien avec Malcolm Tullis, qui m’a beaucoup apporté de choses depuis que nous travaillons ensemble. Concernant l’Espagne, c’est Auguste Dussourd qui m’a conseillé de contacter Borjan Golan. Je l’avais côtoyé sur le circuit, c’est quelqu’un de super en dehors du court. Sur le court, ce n’était peut-être pas le plus doué, mais sa grinta lui a permis d’atteindre le top 5 mondial. Et justement, la rage de vaincre, je l'ai un peu perdu ces derniers temps et j’espère qu’il va m’aider à la retrouver.
Marie Stéphan a décidé de quitter le pôle France de Créteil pour s'entraîner aux côtés de l'Espagnol Borja Golan (Crédit photo : Marie Stéphan)
« J'avais besoin de changer d'environnement. »
Pour l’instant je n’ai passé qu’une semaine là-bas, et ce n’est pas suffisant pour se faire un jugement définitif, mais j’ai eu une super impression. En termes de squash, l’environnement est parfait, il y a beaucoup de garçons du top 200 mondial, plus Marta Dominguez qui vient de temps en temps. Pour être honnête, je ne pense pas m’installer définitivement là-bas, mais c’était la solution qui me convenait à ce moment de ma carrière. Même si je me débrouille en Espagnol, je me suis rendue compte d’un truc : comme je n’ai pas toujours les mots pour exprimer ce que je ressens, ça m’évite de râler pour rien. Quand quelque chose ne me convient pas, je prends sur moi et je passe à autre chose, alors qu’en France on passe beaucoup de temps à se plaindre et ce n’est pas toujours constructif … »
Cette saison, Marie a perdu beaucoup de matches en 5 jeux contre des joueuses mieux classées
« C’est clair que c’est frustrant. Mon niveau de jeu est là, mais dans le 5ème jeu ça se joue essentiellement dans la tête. Par exemple contre Lucy Turmel en Afrique du Sud, je menais 2-0 et j’ai vu la ligne d’arrivée trop tôt. Je sais ce que je vaux : il y a des joueuses plus fortes que moi et que je ne peux pas battre, mais je pense être capable d’intégrer le top 30 mondial. Le problème, c’est que quand on ne fait que les gros tournois, on gagne très peu de matches, et les premiers tours contre des joueuses mieux classées ne sont pas faciles à aborder.
Marie Stéphan a perdu plusieurs matches en 5 jeux contre des joueuses mieux classées cette saison, notamment contre Nadine Shahin à Paris (Crédit photo : Paris Squash 2023)
« J'ai besoin de gagner des matches, c'est pour ça que je vais retourner sur le circuit Challenger. »
Si on y va en se disant qu’on doit absolument gagner, ce n’est pas bon, et si on est trop détendue ce n’est pas top non plus … C’est pour ça que j’ai décidé de retourner sur le circuit Challenger, je vais faire un 15 000 $ et un 20 000 $ au Canada en mars. Avant cela, il y aura le Windy City Open dans quelques jours, j’affronte l’Anglaise Jasmine Hutton au premier tour et j’ai mes chances si j’évolue à mon meilleur niveau. »
Marie a un point commun avec ... Ramy Ashour : tous les deux ont remporté le titre pour leur premier tournoi en PSA !
« Quand j'ai gagné à Montréal en 2015, je me suis dit que la PSA, c’était facile (rires) ! Je ne pensais pas devoir attendre aussi longtemps pour gagner mon deuxième titre, mais promis c’est pour bientôt ! »
Marie Stéphan s'était imposée dès ses débuts en PSA, en battant sa compatriote Mélissa Alves en finale d'un 5 000 $ à Montréal (Crédit photo : SiteSquash)
VICTOR CROUIN : « JE JOUE AU SQUASH POUR INSPIRER LA JEUNE GÉNÉRATION »
Le championnat de France, un rendez-vous incontournable
« Tous les ans, le championnat de France est une date importante dans mon calendrier. C’était déjà le cas dans les catégories de jeunes, je suppose que c’est quelque chose que mon père m’a inculqué. Remporter le championnat de France Élite était l’un des mes objectifs de la saison, contrat rempli ! Je passe beaucoup de temps à disputer des compétitions à l’étranger, c’est toujours spécial d’avoir l’occasion d’en jouer une en France. En plus, mon père avait décidé de rester jusqu’à la fin cette année (rires) (NDLR : l'an dernier, son père et entraîneur Emmanuel Crouin avait dû partir pendant la finale) ...
Victor Crouin a pu fêter son deuxième titre de champion de France Élite en famille
« C'est spécial d'avoir l'occasion de jouer en France, encore plus quand les tribunes sont remplies. »
Plus sérieusement, ma sœur et ma grand-mère étaient là, je suis content qu’elles soient derrière la vitre pour leur montrer ce que je sais faire sur un court de squash. Concernant le niveau du tableau masculin et les absences, c’est sûr que c’est dommage mais c’est dû en partie aux circonstances. Comme je le disais, j’ai des objectifs très précis et être champion de France en fait partie, peut-être que les autres joueurs ne raisonnent pas comme moi. »
Pourquoi je joue au squash ...
« C’était un réel plaisir de jouer devant des gradins remplis, notamment de jeunes. Dernièrement, je me suis beaucoup posé la question, pourquoi je joue au squash ? Bien évidemment, je veux être le plus performant possible et voir jusqu’où je peux aller, mais j’ai aussi réalisé qu’une de mes plus grandes motivations internes était d’inspirer les enfants et de les inciter à prendre une raquette. C’est la raison pour laquelle je n’hésite jamais à taper la balle avec eux dès que j’en ai l’occasion, et je le fais toujours avec un immense plaisir. Quand j’étais jeune, on regardait tous les matches de Grégory Gaultier avec mon père, et j’ai en particulier des images de Greg au Tournament of Champions à New York, qui sont gravées dans ma mémoire. Probablement parce que c’était très tard le soir, et qu’il y a ce côté interdit quand on est enfant. Mais aussi parce que regarder ses matches c'était un ascenseur émotionnel, il y a eu à la fois des grandes victoires et des défaites terribles. Du coup, j’allais me coucher soit très heureux soit très triste, et ce sont des souvenirs inoubliables.
Comme il le fait systématiquement, Victor Crouin n'a pas hésité à passer du temps avec les jeunes à Chartres
« Les matches de Grégory Gaultier à New York m'ont marqué quand j'étais enfant. »
Pour être plus précis, j’essaie d’inspirer ceux qui souhaitent devenir professionnels. Du coup, c’était important pour moi de donner le meilleur de moi-même lors de tous mes matches à Chartres, afin de montrer à la jeune génération ce qu'il lui reste à faire pour atteindre le plus haut niveau. J'étais très content d’affronter Melvil Scianimanico pour la première fois en finale, c’est une force montante du squash français. Il a de belles capacités physiques, une intelligence de jeu solide et joue très relâché sur un court, ce qui est formidable à voir ! »
Après un exercice 2022-2023 exceptionnel, qui l'a propulsé à la 7ème place mondiale, Victor a connu un début de saison un peu délicat mais est de retour à son meilleur niveau
« On ne peut pas parler de début de saison raté, car dans le contenu mes matches étaient plutôt bons. Pendant ma préparation, j’avais mis l'accent sur le développement de ma force mentale (gestion des émotions, mise au point de routines mentales etc.). Mais je me suis trop focalisé sur ces "objectifs mentaux." C’est devenu contre-productif, à tel point que pendant le 5ème jeu de mon match contre Ramit Tandon à l’Open de Malaisie, je ne pensais même plus au fait de gagner ou de perdre. À partir de là, j’ai commencé à travailler avec Jesse Engelbrecht de SportMind, et les bénéfices ont été immédiats. Notamment lors des tournois à Hong-Kong et en Nouvelle-Zélande en décembre (NDLR : les deux fois, il s'est incliné contre Paul Coll en 4 jeux), puis il y a eu le ToC où j’ai atteint les demi-finales en battant Paul Coll.
Après un début de saison en-deçà de ses standards habituels, Victor Crouin a récemment signé une performance majuscule contre Paul Coll à New York (Crédit photo : PSA World Tour)
« Le plaisir d'apprendre, un moteur. »
C’est sûr que c’est très différent d’être dans la position d’un jeune joueur qui monte que d’être installé dans le top 10. Après ma belle saison 2022-2023, mes adversaires ont évidemment étudié mon jeu et cherché des solutions pour me battre. Personnellement, je ne me focalise pas trop sur le classement, je dirais qu’Ali Farag, Diego Elias et Mostafa Asal sont au-dessus mais le circuit est vraiment très dense. Je me rends compte qu’il y a des joueurs derrière moi au classement que je n’ai jamais battus, par exemple Greg Lobban. Une chose est sûre, ces derniers temps j’ai retrouvé le plaisir d’apprendre, qui est mon moteur et l’a toujours été. L’aspect mental fait évidemment de ce processus d’apprentissage. Même si nous sommes en confrontation directe avec un autre joueur sur le terrain, notre adversaire le plus redoutable est nous-mêmes. Parfois on est dur avec soi-même, on a tendance à confondre le joueur de squash et l'être humain. La façon dont je frappe une balle de squash n’est pas ce qui me définit en tant que personne ! »
CHAMPIONNAT DE FRANCE ÉLITE, FLASHBACK EXPRESS
Que peut-on retenir de cette édition 2023-2024 ? Quelques petits points en vrac avec un alphabet incomplet ...
👉 A comme accueil : avant la compétition, Denis Bourret soulignait l’importance pour un club d’accueillir un évènement de cette envergure. Le directeur technique du C'Chartres Squash Badminton et son équipe, que ce soit les salariés ou les nombreux bénévoles, se sont pliés en quatre pour mettre tous les protagonistes dans les meilleures conditions. On a hâte de revenir dans un an ! Chartres aime les belles manifestations, à tel point que le maire-adjoint Franck Masselus a évoqué la possibilité d’organiser un championnat d’Europe en 2025. Affaire à suivre …
Denis Bourret (deuxième en partant de la droite) et son équipe n'ont pas chômé pour faire de cette édition 2023-2024 une belle réussite
👉 J comme jeunesse : Victor Crouin (24 ans), Melvil Scianimanico (18 ans), Brice Nicolas (20 ans). Comme me l’a fait très justement remarquer Ombeline Parbaud, qui a de qui tenir en matière d’amour des statistiques, il s’agit du podium le plus jeune jamais vu au championnat de France Élite. C’est bien évidemment dû aux nombreuses absences dans le tableau masculin, mais ce résultat coïncide aussi avec une montée en puissance de la jeune génération. Brice a récemment remporté son premier titre en PSA, et est aux portes du top 100 mondial. Chez les filles, Lauren Baltayan (16 ans) aurait bien voulu devenir la plus jeune championne de France de l’histoire, mais elle s’est heurtée à une Marie Stéphan très solide. La petite Franco-Égyptienne doit se contenter d’une deuxième médaille de bronze en deux ans.
Même si les absences y sont pour quelque chose, la jeunesse des demi-finalistes du tableau masculin est bon signe pour le squash français
👉 J comme jeunesse (bis) : pour la 3ème année consécutive, la FFSquash a organisé un championnat de France Interligues jeunes en même temps que les « Élite, » afin d’éveiller des vocations pour le haut niveau et de faciliter la transmission. Quasiment toutes les régions avaient répondu présentes, pour un total de 15 équipes, et l’Île-de-France s’est logiquement imposée. Pour nos meilleurs jeunes, c’est le début d’une période très chargée, avec l’open de France junior dès jeudi à Lille (présentation à venir sur notre site) puis les championnats d’Europe des différentes catégories d’âge.
Pendant trois jours, le club de Chartres a également vibré au rythme du championnat de France Interligues -15 ans
👉 L comme logique : sur le plan sportif, cette édition a été marquée du sceau de la logique et il n’y a quasiment eu aucun upset dans les tableaux principaux. La surprise la plus marquante a été la victoire de Laouenan Loaëc (n°14 français), auteur d’une superbe prestation pour sortir Edwin Clain (n°8) en quart, mention également à Antonin Romieu (n°19) vainqueur de Baptiste Bouin (n°13) au premier tour. Marie Stéphan et Victor Crouin ont conservé leur titre sans lâcher le moindre jeu, pour la Guyanaise il s’agit même d’un troisième sacre consécutif.
La perf' du championnat de France Elite est à mettre au crédit de Laouenan Loaëc (à gauche), vainqueur d'Edwin Clain en quart de finale
👉 P comme public : Victor Crouin l'a souigné, évoluer devant des gradins combles est un réel plaisir pour les joueurs. Comme en 2023, l’affluence a été belle pendant toute la compétition, notamment grâce à la présence d’établissements scolaires qui ont mis une belle ambiance !
Comme en 2023, les tribunes du C'Chartres Squash Badminton ont été bien garnies pendant 5 jours
👉 T comme télé : l’un des points positifs de cette édition 2023-2024, c’est incontestablement la présence des caméras de Sport en France à partir des demi-finales, avec le duo Lucien Jahan/Lucas Vauzelle au micro. Les joueurs n’ont cessé de souligner les bénéfices en termes de visibilité pour leur discipline, surtout que la chaîne vient d’arriver sur le bouquet My Canal !
Le duo Lucas Vauzelle/Lucien Jahan, ici en compagnie de Lauren Baltayan, a commenté les matches diffusés sur Sport en France vendredi et samedi
LES HIGHLIGHTS DE SPORT EN FRANCE