Tout en regrettant d'être passé tout près d'un exploit encore plus grand (il a eu une balle de match en demi-finale contre le futur vainqueur, Hamza Khan), le jeune Français a pris conscience de son niveau en Australie. Il a de grandes ambitions pour son avenir à court et long terme, qu'il expose dans un entretien sans langue de bois.

Jérôme Elhaïk : Melvil, tout d'abord quel est ton sentiment sur ton parcours au championnat du monde junior, maintenant que tu as eu quelques jours pour digérer tout ça ?

Melvil Scianimanico : C'est un peu bizarre en fait. Je suis évidemment content de ma médaille de bronze, et conscient qu'il n'y a que des grands noms du squash français qui étaient montés sur le podium avant moi (1). Mais je ne peux pas m'empêcher d'être frustré, je suis passé à un point de me qualifier pour la finale d'un championnat du monde. C'est dur, dans les heures qui ont suivi je me suis refait tous les scénarios possibles et imaginables en boucle dans ma tête.

J.E. : Est-ce que tu as regardé la demi-finale depuis, et notamment cette balle de match à 10-9 dans le 5ème jeu face à Hamza Khan ?

M.S. : Cette demi-finale, je dirais que je l'ai revue six fois ! Bon, il faut dire qu'avec un trajet retour d'à peu près 40 heures, j'avais le temps ... Concernant la balle de match, ce n'est pas forcément ça qui me donne le plus de regrets, il joue un beau coup et une balle parfaitement collée au latéral. Par contre, il y a plein d'autres moments, si c'était à refaire je ferais des choix différents.

J.E. : L'entraîneur de l'équipe de France Yann Menegaux me disait que ton parcours en Australie t'avait fait prendre conscience que tu n'avais rien à envier aux meilleurs joueurs de ta génération, donc certes il y a de la déception d'être passé tout près d'un truc énorme, mais ça peut être une étape importante pour toi ?

M.S. : Tout à fait, on va dire qu'en arrivant en Australie je n'étais personne, et que dans mon esprit je ne me sentais peut-être pas capable de battre des gars comme Hamza Khan. D'un autre côté, j'avais quand même dans un coin de la tête l'objectif d'être champion du monde, parce que le tableau était très ouvert. Il y a beaucoup de bons joueurs, et nos classement mondiaux ne reflètent sans doute pas notre niveau parce qu'on ne joue pas beaucoup en PSA (si je prends l'exemple de l'Égyptien Kareem El Torkey, récemment il a battu 3 joueurs du top 100), mais il n'y a pas un gars qui est au-dessus et qui joue top 20, comme c'était le cas avec Mostafa Asal quand il était encore junior.

Grâce à Melvil Scianimanico, le drapeau bleu-blanc-rouge était présent sur le podium du championnat du monde junior (Crédit photo : Rogue Gun & Media)

J.E. : Quand tu analyses l'ensemble de ton tournoi, je suppose que tu es satisfait de tes prestations ?

M.S. : Oui quand même ! Je suis content de ce que j'ai produit et de mon niveau de jeu. Après, quand je revois mes matches, je vois plein de points d'amélioration. Cette frustration que j'évoquais auparavant, elle va me servir car je n'ai qu'une envie, m'entraîner encore plus pour continuer à progresser. D'ailleurs, on vient à peine de rentrer, mais cet après-midi je vais aller faire une séance de PMA. Il n'y a pas de temps à perdre, les prochaines échéances arrivent rapidement.

« La frustration d'être passé tout près de quelque chose de grand me donne envie de m'entraîner encore plus. »

J.E. : On va évoquer l'avenir à court terme, mais pour conclure sur le championnat du monde, quel est selon toi ton meilleur match, peut-être le 1/8ème de finale contre David Bernet ?

M.S. : C'est vrai que c'était un bon match, j'ai réussi à créer du jeu et à être très incisif à l'avant du court, ce qui n'est pas ma qualité première. Cependant, peut-être que ma meilleure prestation, c'est mon premier tour face à l'Américain Arhan Chandra. C'est un très bon joueur, dans les matches de classement il a quand même gagné 3-0 contre Toto (NDLR : son coéquipier Antonin Romieu). Contre lui, la qualité de jeu était au rendez-vous, j'étais super précis.

J.E. : Il y a quelques jours, tu disais que même si tu avais gagné le Dutch Junior Open, tu ne te sentais pas hyper bien dans les semaines qui ont précédé ?

M.S. : Oui, même si j'ai quand même fait un ou deux bons matches aux Pays-Bas. En fait, le bac de Français m'a fait beaucoup gamberger (sic), je ne me suis pas beaucoup entraîné et même quand j'étais sur le court je n'avais pas de bonnes sensations. Heureusement, une fois arrivé en Australie je me suis senti beaucoup mieux.

En demi-finale, Melvil Scianimanico a eu une balle de match avant contre le futur champion du monde, Hamza Khan (Crédit photo : Rogue Gun & Media)

J.E. : Tu ne vas pas avoir de coupure, car comme tu le disais il y a de grosses échéances qui arrivent. La première, c'est le tournoi wildcard pour le Paris Squash 2023, du 16 au 19 août à Aix-en-Provence ...

M.S. : J'ai hâte d'y être ! Le championnat du monde junior m'a donné énormément de confiance, et j'y vais dans l'optique de gagner le tournoi et de me qualifier. Personne n'est imbattable, même si attention il y aura d'excellents joueurs dans le tableau. J'ai envie de me mesurer à eux, pour voir où j'en suis mentalement et physiquement.

J.E. : L'enjeu est énorme, puisque le vainqueur participera à son premier tournoi Platinum, en France, avec tout ce que ça implique en termes d'expérience et d'ascension au classement.

M.S. : C'est clair que ce serait fou de me qualifier ...

« Mon objectif est de me qualifier pour le Paris Squash 2023. »

J.E. : La façon dont fonctionnent les tournois PSA, le calcul du classement, ce sont des choses que tu maîtrises ?

M.S. : Je suis encore jeune. Je ne m'y étais pas encore intéressé jusqu'à maintenant, mais là je commence. Avec mon entraîneur Christophe Carrouget, on a déjà réfléchi et commencé à cibler quels tournois PSA je pourrais faire, sachant qu'avec les études je ne peux pas partir pendant plusieurs semaines. L'objectif, c'est d'intégrer le top 150 assez rapidement, sachant qu'une qualification pour le Paris Squash 2023 pourrait tout chambouler, et du même coup ma programmation de la saison, parce qu'il y a tellement de points à clé (2).

Melvil Scianimanico et Lauren Baltayan seront les atouts majeurs de l'équipe de France -19 ans au prochain championnat d'Europe (Crédit photo : Swiss Squash)

J.E. : En parlant de ça, tu as effectué un joli bond au classement PSA (il est passé de la 239ème place à la 209ème place mondiale, son meilleur classement), grâce aux 40 points attribués aux médaillés de bronze du championnat du monde ...

M.S. : C'est vrai, après quand j'ai vu que ça aurait pu être encore mieux si j'avais pris les 100 points du vainqueur, ça a contribué à ma frustration (rires).

J.E. : On parle de circuit international, mais tu n'as pas encore 19 ans et dans le programme de ta saison 2023-2024 il y aura également des tournois jeunes.

M.S. : J'en ai clairement ciblé trois. L'US Junior Open en décembre, auquel je n'ai jamais participé, en plus mes parents vont venir avec moi donc ça va être cool. Ensuite, le British Junior Open, début janvier. Même si c'est différent d'un championnat du monde, la majorité des joueurs qui ont été loin en Australie seront encore en -19 ans. Après ma médaille de bronze en Australie, j'espère être tête de série 3/4. Enfin, il y aura le championnat d'Europe au printemps 2024.

J.E. : Ça fait quelques temps qu'on en parle : on peut rêver à un triplé français, avec toi et Lauren Baltayan dans les épreuves individuelles, et la compétition par équipe où vous aurez notamment Antonin Romieu à vos côtés.

M.S. : Tous les ans, on se dit cette fois c'est la bonne, qu'on peut battre les Anglais, donc je préfère ne pas trop me prononcer ... (3) Effectivement, c'est une belle opportunité, mais par exemple en ce qui me concerne, je n'oublie pas qu'il y aura Jonah Bryant, qui est le tenant du titre et un super joueur.

J.E. : Tu parlais auparavant de ton style de jeu, qui est plutôt basé sur la relance et le physique, est-ce que tu as toujours joué comme ça ?

M.S. : Mon père, et moi aussi, il paraît qu'on aime bien être mené 2-0 pour pouvoir gagner en 5 jeux (4) ... C'est vrai que dès j'ai commencé le squash j'aimais bien courir après la balle (rires). On me dit souvent que ça a l'air facile pour moi, que je ne suis jamais fatigué. Et c'est vrai que physiquement, alors attention je n'irais pas jusqu'à dire que je ne me sens inférieur à personne, mais disons que contre beaucoup de joueurs j'ai un avantage à ce niveau là. Maintenant, on sait que si on a l'ambition d'accéder au plus haut niveau mondial, on ne peut pas miser que là-dessus, il faut travailler ses coups d'attaque et c'est ce que je vais continuer à faire la saison prochaine avec Christophe Carrouget à Clermont-Ferrand.

J.E. : On sait aussi que tu es un joueur qui joue toutes les balles comme on dit, qui demande rarement des lets ou des strokes, et qui ne râle jamais sur l'arbitre.

M.S. : Ça, je pense que c'est grâce à l'éducation de mes parents. Pour le reste, dans le passé j'étais trop gentil, je laissais mes adversaires me bloquer par exemple. Mais si je suis quelqu'un qui préfèrera toujours jouer une balle plutôt qu'espérer un stroke, j'ai évolué à ce niveau-là, je n'hésite plus par exemple à prendre ma place pour jouer une balle.

Réputé pour ses capacités physique et sa défense, Melvil Scianimanico a bien l'intention de continuer à ajouter des cordes à son arc (Crédit photo : Rogue Gun & Media)

J.E. : On évoquait auparavant ton entraîneur Christophe Carrouget. Depuis deux ans, tu as intégré le centre d'entraînement régional, maintenant Club Excellence, du Squash des Volcans, peux-tu nous raconter comment ça s'est passé ?

M.S. : À un moment donné, il était question que j'aille au pôle espoirs à Aix-en-Provence, néanmoins ça n'a pas pu se faire pour plusieurs raisons. Je n'avais plus personne avec qui m'entraîner à Paris (5), et si j'étais resté là-bas, j'aurais peut-être arrêté le squash. Heureusement, l'opportunité de Clermont-Ferrand s'est présentée. Ça a été super vite, en une semaine tout était bouclé.

J.E. : Est-ce que tu connaissais Christophe Carrouget auparavant ?

M.S. : Je l'avais évidemment souvent croisé sur les tournois jeunes, mais on ne se connaissait pas plus que ça. Le courant est passé tout de suite entre nous.

J.E. : Je crois savoir que tu vas rester en Auvergne une saison supplémentaire.

M.S. : Oui, déjà parce que je dois terminer mes études secondaires et obtenir mon bac. Ensuite, même si à Clermont, je n'ai pas de confrontation avec un joueur de mon niveau au quotidien, comme je le disais auparavant j'ai de nombreuses pistes de progression. Je suis persuadé que Christophe a plein de choses à m'apporter. Après, effectivement le projet est d'intégrer le pôle France d'Aix-en-Provence en 2024-2025, et de me consacrer à 100 % au squash.

« C'est devenu clair dans ma tête depuis un an, je veux être joueur de squash professionnel. »

J.E. : Même si dans le squash, et dans les autres disciplines, il y a une multitude de chemins qui mènent vers le haut niveau, intégrer un pôle France est souvent un passage obligé.

M.S. : Clairement. Au-delà de la confrontation, et du fait de se retrouver tous les jours sur le court avec les meilleurs joueurs français, il y a aussi l'environnement. Toute la journée, on cotoie des professionnels, qui vivent pour le squash, et on s'impregne de ça.

Depuis le début de la collaboration entre Christophe Carrouget et Melvil Scianimanico, les résultats ont été au rendez-vous (Crédit photo : British Junior Open)

J.E. : Et toi, à quel moment tu t'es dit que tu avais envie d'être joueur de squash professionnel ?

M.S. : Je dirais que ça fait environ un an que j'y pense, peut-être qu'avant je ne m'en sentais pas capable. Il faut dire aussi que j'ai gagné en maturité, avant ça pouvait m'arriver de "balancer" des matches, maintenant plus du tout. Il y a eu également des discussions avec mes parents qui m'ont ouvert les yeux sur pas mal de choses. Je me suis rendu rendu compte que les études ce n'était pas trop pour moi, et que joueur de squash était ce que je voulais vraiment faire. Je vais me donner à 100 % pour atteindre mon objectif ultime, qui est d'être numéro 1 mondial.

(1) Dans l'ordre chronologique, Thierry Lincou (1994, 3ème), Isabelle Stoehr (1997, 2ème), Grégory Gaultier (2000, 2ème), Camille Serme (2007, 2ème) et Victor Crouin (2017, 2ème) : autrement dit, tous des joueurs et joueuses qui ont ensuite fait partie des tops 10 mondiaux (et même beaucoup mieux) et remporté des titres majeurs par la suite sur le circuit international senior.

(2) S'il se qualifie pour le Paris Squash 2023, Melvil Scianimanico intègrera le top 150 mondial à l'issue du tournoi.

(3) La France n'a jamais battu l'Angleterre dans une compétition par équipe en jeunes.

(4) Venu au squash sur le tard, le père de Melvil, Thierry Scianimanico a remporté 17 fois le championnat de France vétérans et a même été finaliste du dernier championnat du monde en +55 ans. Les chiens ne font pas des chats ...

(5) Melvil était auparavant entraîné par Lucas Vauzelle, qui a quitté Paris pour Nantes en 2019.