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LE MENTAL EN QUESTION(S) ...

Événements 09/04/2020

Le confinement est une mise à l'épreuve pour nos athlètes, tant sur le plan physique que mental. Quelle est leur approche dans ce domaine, de plus en plus prépondérant dans le sport de haut niveau ?

Les joueuses du pôle France et leur staff nous donnent des réponses.

Article de Jérôme Elhaïk

Après sa victoire au Tournament of Champions, Camille Serme avait attribué une partie de sa réussite à la présence d'un staff élargi – comprenant un coach mental, Jonathan Bel Legroux. Pour atteindre les sommets de sa discipline, il faut mettre tous les atouts de son côté : la Française l'a compris depuis longtemps, et la préparation mentale a fait sa première apparition dans son quotidien il y a une quinzaine d'années. « Sa progression était freinée par des facteurs comme la gestion des émotions, autrement dit des choses qui sortaient du cadre technique et physique, » raconte son entraîneur Philippe Signoret. « Dans un premier temps, Yves Riedrich est intervenu auprès des joueuses du pôle de Créteil, puis au bout de quelques années on s'est rendus compte que le travail devait être plus individualisé. » Depuis près d'une décennie, Camille Serme collabore avec Makis Chamalidis. « Quand j'avais 12 ans, il était venu au pôle pour nous présenter sa Carte du mental, ça m'avait marqué, » raconte-t-elle. Aujourd'hui, les séances sont moins régulières qu'au début mais le lien toujours présent. « On met en place des routines, qui peuvent être orientées sur une adversaire en particulier. À une époque, j'avais du mal à gérer mes matches contre Laura Massaro, qui pouvait être très déstabilisante sur le court. Il m'a fallu du temps, mais on a fini par trouver la clé ... »

"On met en place des routines, qui peuvent être orientées sur une adversaire en particulier" Camille Serme

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Camille Serme, en compagnie de son préparateur mental Makis Chamalidis (Crédit photo : Camille Serme) 

Le rôle de l'entraîneur, qui côtoie les athlètes au quotidien, est central. « On fait des réunions à trois, afin de débriefer le travail effectué avec leur préparateur mental, » indique Philippe Signoret. « Chacun a sa propre approche, mais les thématiques sont semblables. » Le terme « gestion des émotions » revient inlassablement dans la conversation. « Les problèmes qui surviennent sur le court sont associés à des choses ancrées dans la personnalité de chacun, qui est elle-même le fruit de l'éducation familiale et sportive. Le travail doit non seulement être individualisé, mais aussi évoluer dans le temps : des choses peuvent fonctionner à un moment donné, mais plus ensuite. Il y a eu chez Camille des changements visibles, notamment une plus grande confiance en elle. Je dis souvent qu'elle est devenue la patronne de l'entraînement. Ça ne veut pas dire qu'elle a perdu ses qualités d'écoute, au contraire, mais c'est elle qui décide où elle veut aller. » 

"La personnalité d'un athlète est façonnée par son éducation familiale et sportive" Philippe Signoret

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De par son rôle d'entraîneur, Philippe Signoret (ici en compagnie de Mélissa Alves) joue un rôle moteur dans la préparation mentale de ses joueuses (Crédit photo : Mikphotos) 

Adepte du yoga depuis quelques années, Camille Serme a ajouté une nouvelle corde à son arc : pendant plusieurs mois, elle a travaillé avec Jonathan Bel Legroux, spécialiste de l'hypnose. Alors Camille, en quoi consiste une séance ? « On discute d'abord de ce qu'on va faire. Ensuite, je ferme les yeux et je glisse progressivement dans un état semi-conscient. C'est assez bluffant, le corps réagit sans qu'on s'en rende compte. Lorsqu'on rouvre les yeux, on a perdu la notion du temps, et certaines choses qui me semblaient très claires lorsque je les ai entendues le sont maintenant beaucoup moins. Le but de la préparation mentale, et encore plus de l'hypnose, c'est d'aller chercher au fond de soi des choses dont on n'est pas conscient. » Pendant le Tournament of Champions, elle s'est prêtée à cet exercice avant chaque match. « La séance était adaptée à mon état du moment, » précise-t-elle. « Avant mon premier tour, j'étais surexcitée car je n'avais pas joué en compétition depuis deux mois (rires) ! Indéniablement, ces séances ont eu un impact positif sur mes performances à New York. »

"Les séances d'hypnose étaient adaptées à mon état du moment" Camille Serme

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Pour Camille Serme, la présence de son coach mental a joué un rôle important dans sa victoire à New-York (Crédit photo : PSA World Tour) 

Pour un athlète de haut niveau, la période actuelle est difficile à appréhender, tant sur le plan physique que mental. Notamment pour Camille Serme, confinée avec son époux Quentin dans leur appartement Cristolien. « « Je ne peux pas voir mes parents et mon frère, qui habitent tout près. On a fêté mon anniversaire sur Skype, c'est mieux que rien mais ce n'est pas pareil. » « On s'entraîne tous les jours, mais ce ne sont pas des séances spécifiques au squash et il faudra sans doute faire un break à un moment donné. » surenchérit sa camarade d'entraînement Énora Villard. « Il y a des hauts et des bas, » ajoute leur entraîneur Philippe Signoret quand on le questionne sur le moral des troupes. « Heureusement, les visioconférences – individuelles et collectives - nous permettent de rester près les uns des autres. Paradoxalement, le fait que la reprise du circuit ait été repoussée au mois d'août est une bonne chose car les joueuses savent à quoi s'en tenir. » L'entraîneur voit aussi dans le confinement une occasion de « se poser » et de travailler des points spécifiques (« techniques, physiques ou tactiques »). Également au programme, l'analyse vidéo (« en ce moment, je regarde plutôt des matches que j'ai gagnés, » sourit Camille) et des échanges avec leurs préparateurs mentaux. « Avec Yann Menegaux, on avait déjà commencé à travailler sur l'imagerie mentale et la période actuelle est l'opportunité d'aller plus loin, » confie Énora (voir ci-dessous). Les pistes de travail ne manquent pas, et Philippe Signoret ne cesse de le répéter à ses joueuses : l'objectif est de revenir plus forte à la reprise, quelle que soit sa date ... 

 

 

PILE ET FACE

Entraîneur des équipes de France junior, Yann Menegaux intervient également comme préparateur mental auprès de certains joueurs professionnels, comme la numéro 4 française Énora Villard. Nous avons recueilli leurs impressions sur cet aspect de plus en plus important dans le sport de haut niveau.

 

 Yann Menegaux

« En tant qu'athlète, j'ai connu les problématiques liées à l'engagement, la concentration etc. mais à cette époque on ne parlait pas encore de préparation mentale. C'est un domaine qui a pris de l'ampleur au cours des 4-5 dernières années, et j'ai commencé à m'y intéresser en côtoyant le haut niveau dans mon parcours d'entraîneur de squash. J'ai été marqué par le livre de Jacques Fradin L'intelligence du stress, qui s'intéresse à ce phénomène naturel. J'ai souhaité aller plus loin en passant mon Diplôme Universitaire de préparation mentale en 2015. Même si son livre La bible de la préparation mentale est sorti après ma formation, je m'inspire beaucoup de la méthode de Christian Target, et de son Modèle de Performance Mentale décomposé en 7 éléments (émotions, énergie, estime de soi, motivation, confiance, concentration et communication). J'ai eu la chance de rapidement mettre en pratique tout cela en travaillant avec Énora Villard – que j'avais entraînée au pôle espoirs et avec laquelle j'ai une relation de confiance.

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Yann Menegaux (Crédit photo : Pôle Espoirs Aix-en-Provence)

Plutôt que de préparation, je préfère parler d'entraînement mental car le travail est concret (avec des fiches, des exercices etc.) et demande de la régularité. La fréquence des séances varie entre 1 et 2 par mois. Ça peut être une semaine avant une grosse échéance, ou juste après pour débriefer. Les échanges avec l'entraîneur sont importants, car sa vision des choses et celle de l'athlète sont parfois très différentes … Avec Énora, on travaille des thématiques telles que la fluidité, le tempo, et l'engagement, notamment grâce à des séances d'imagerie mentale. Ça commence par une période de relaxation, l'esprit doit être aussi clair que possible. Lors de l'étape de visualisation, les 5 sens sont en éveil et l'objectif est d'atteindre l'état psychologique souhaité alors que l'athlète est pleinement conscient. On avait déjà commencé ces séances, mais le confinement est l'occasion d'en faire davantage. Ça demande du temps et de l'investissement, comme la préparation mentale dans son ensemble. Il faut avoir la capacité à analyser ses sensations, et être prêt à faire un gros travail sur soi. » 

 

Énora Villard

 « J'ai eu un premier aperçu de la préparation mentale avec Yves Riedrich au pôle espoirs, mais c'était une approche collective et encadrée. Je suis une personne très émotive, et le stress me faisait perdre mes moyens en match - que ce soit en jeunes ou à mes débuts en PSA. Quand Yann a eu son diplôme de préparateur mental, je me suis tournée vers lui car il avait été mon entraîneur et on avait des affinités. On se voit moins souvent depuis qu'il est à Aix, mais on fait des séances en visio-conférence, c'est très à la mode en ce moment (rires) ! Chaque préparateur mental est différent, et je sais que Yann s'appuie beaucoup sur la méthode Target. Mais au-delà de cet aspect théorique, l'approche est individualisée car l'objectif est d'identifier les problématiques spécifiques à l'athlète. Pour les résoudre, il y a un vrai travail, avec des exercices etc. En ce qui me concerne, on travaille beaucoup sur le relâchement et la fluidité, notamment en mettant en place des routines. C'est difficile de décrire avec précision les effets du travail mental, car il y a des situations qui ne surviennent qu'en match. Mais j'estime avoir beaucoup progressé, notamment dans la gestion des émotions – si importante dans le sport féminin.

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Énora Villard (Crédit photo : Mikphotos)

On parle parfois de préparation mentale avec les autres joueuses, surtout celles dont je suis proche comme Camille ou Mélissa. On travaille toutes avec une personne différente, c'est intéressant de confronter nos points de vue. On se rend compte que cet élément est bénéfique pour tout le monde, même les personnes qui ne sont pas sujettes au stress. On a tous des choses ancrées en soi, notamment négatives, et il faut les laisser venir pour mieux les comprendre. Concernant le confinement, c'est une période difficile à vivre. Être sur le circuit, voir mes partenaires d'entraînement etc., tout ça me manque. De plus, le flou autour de la date de reprise n'est pas facile à gérer pour les personnes comme moi qui aiment bien planifier les choses … Le point positif, c'est que je peux consacrer du temps à certaines choses, par exemple l'imagerie mentale. Avec Yann, on avait déjà commencé à travailler dessus et la période actuelle est l'opportunité d'aller plus loin. »

 

 

  
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