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INTERVIEW – COLINE AUMARD « TANT QUE J'AI LE SENTIMENT DE PROGRESSER, JE N'AI AUCUNE RAISON D'ARRÊTER »
Événements 19/03/2020La semaine dernière, Coline Aumard a réalisé la plus grande performance de sa carrière en atteignant les quarts de finale du Black Ball Open.
La joueuse de l'équipe de France revient sur son parcours au Caire, évoque la manière dont son pays de résidence – le Royaume-Uni – vit l'épidémie de Covid-19, et se projette sur la suite de sa carrière. Entretien-vérité.
Jérôme Elhaïk : Bonjour Coline. Commençons par l'actualité immédiate, et l'épidémie de Covid-19. Comment l'Angleterre vit-elle cette crise (NDLR : elle réside à Nottingham depuis septembre 2017) ?
Coline Aumard : Je suis de près ce qui se passe en France, et ici ça n'a rien à voir. Tous les lieux publics sont ouverts, on voit même des gens dans les pubs (NDLR : contrairement à la quasi-totalité des pays d'Europe, le Royaume-Uni avait initialement misé sur la stratégie d'immunité collective plutôt que le confinement, mais la situation est en train d'évoluer petit à petit depuis cet entretien qui a eu lieu mardi). On a accès au club, et je viens d'y aller avec Tinne Gilis. Néanmoins, il n'y a quasiment personne et on s'entraîne dans notre coin, ça permet de minimiser les risques.
Depuis trois ans, Coline Aumard a rejoint son compagnon Adam Auckland à Nottingham (Crédit photo : Coline Aumard)
J.E.: Si ce n'était plus le cas, aurais-tu les moyens de continuer à t'entraîner ?
C.A.: J'échange régulièrement avec mon préparateur physique, qui pourrait continuer à me fournir un programme spécifique. Et il y a un grand parking dans mon lieu de résidence, ça pourrait devenir mon terrain d'entraînement ...
J.E.: Le circuit PSA est interrompu jusqu'à fin avril, et ça pourrait se prolonger en fonction de l'évolution de la situation. Comment gères-tu cette incertitude ?
C.A.: Je relativise car je suis en bonne santé. Mais c'est difficile et un peu démotivant, d'autant qu'il y avait déjà eu une pause de deux mois sur le circuit féminin en novembre et décembre. On imagine tous les scénarios, d'une reprise en mai à Manchester à une saison 2019-2020 d'ores et déjà terminée. Si c'était le cas, le manque à gagner serait problématique et je connais des joueurs ici qui parlent déjà de prendre un boulot à mi-temps. De mon côté, j'ai la chance de bénéficier du soutien de mon sponsor Tailor Capital et j'en profite pour les remercier. Je ne te cache pas non plus que le prize money que je vais recevoir pour mon tournoi en Égypte est le bienvenu !
« Je suis de près la situation en France, ici au Royaume-Uni ça n'a rien à voir »
J.E.: Parlons justement du Black Ball Open : le coronavirus était-il un sujet abordé pendant le tournoi ?
C.A.: Oui, il n'y avait pas de tabou. Mon adversaire au premier tour était une joueuse de Hong Kong, et on a discuté de la situation dans son pays. Il y avait quelques cas en Égypte, mais on était relativement isolés dans le club et dans l'hôtel. Et de toute façon, le risque zéro n'existe pas.
J.E.: Tu as effectué un superbe parcours au Caire, et pourtant lors du premier tour tu avais été gênée par une douleur à la cuisse. Est-ce la suite de la blessure qui t'avait contrainte à l'abandon au championnat de France ?
C.A.: Tout à fait. C'était vraiment pas de chance, car ma préparation a été conçue pour que j'arrive au top en mars : la raison, c'est que l'Annecy Rose Open était l'un des objectifs majeurs de ma saison (NDLR : ce tournoi, qui se déroule dans son club, devait se dérouler à la fin du mois). J'avais perdu de justesse en finale l'an dernier, et juste après les organisateurs avaient annoncé que la dotation passerait de 10 à 20 000 $. C'était un gros challenge, et je voulais vraiment gagner ce tournoi.
Avec l'aide du staff de l'équipe de France, Coline (ici en compagnie de Philippe Signoret et Romain Cuiller) a réalisé un parcours remarquable au Caire (Crédit photo : Black Ball Squash Open)
J.E.: Tu n'as ressenti aucune douleur lors des matches suivants ?
C.A.: Non, grâce à l'ostéopathe qui était avec nous sur place, Romain Cuiller. J'ai passé beaucoup de temps aux soins entre les matches et je le remercie pour son aide. J'avais également vu un spécialiste à mon retour de Chicago, qui avait diagnostiqué la raison de ce problème.
J.E.: Quelle est-elle ?
C.A.: Il s'avère que j'ai une trop grande flexibilité de la hanche. Ça me permet de faire de super fentes, mais mes autres muscles ne suivent pas (rires). J'ai des exercices spécifiques pour résoudre ce problème, et je considère qu'il est désormais derrière moi.
« Si j'avais perdu ce match contre Salma Hany, on aurait dit, "Coline a encore craqué mentalement" »
J.E.: Au fur et à mesure du tournoi, tu avais de plus en plus de bandages et tu ressemblais un peu à une momie !
C.A.: (elle éclate de rire). Tout le monde m'a dit la même chose ! Le bras droit, c'est à cause d'un tennis-elbow dont je souffre depuis quelques temps. J'ai aussi pris quelques béquilles, notamment lors du 1/16è de finale contre Salma Hany. Mais plus je prenais de coups, plus ça me donnait envie de repartir au combat.
J.E.: Lors du tournoi en général, et de ce match en particulier, tu as été très forte mentalement. Ça n'a pas toujours été ton point fort par le passé ...
C.A.: C'est vrai que j'ai été solide dans la tête, même si le match m'a un peu échappé après l'interruption pour saignement dans le quatrième jeu. Elle a bien joué le coup ! Si j'avais perdu ce match, on aurait dit, « Coline a encore craqué mentalement etc. » Mais avant le début du cinquième, je me suis dit, celui-là je ne vais pas le lui donner. Et c'est elle qui a craqué …
Le match contre Salma Hany a été un combat, et Coline en est sortie vainqueur après 70 minutes de jeu (Crédit photo : Black Ball Squash Open)
J.E.: Battre des Égyptiennes, surtout chez elles, c'est un peu le défi ultime dans le squash actuellement et tu l'as fait deux fois au Caire ...
C.A.: Avec Camille, on a rigolé avant les 1/8è de finale, en voyant un message sur les réseaux sociaux qui disait que j'étais avec 7 Égyptiennes dans ma partie de tableau. Je lui ai dit « Cam, j'ai l'impression d'être toi ! » Je n'ai pas gagné le tournoi, mais quart de finale c'est quand même pas mal.
J.E.: Revenons sur l'aspect mental, comme est-ce que tu le travailles au quotidien ?
C.A.: Gary Nisbet, qui est également mon préparateur physique, m'aide à trouver des solutions. J'ai parfois du mal à me reconcentrer lorsque quelque chose se produit dans un match. Pour remédier à ça, on fait de la mise en situation à l'entraînement, en me sortant de ma zone de confort. L'important, c'est de se focaliser sur les choses que je peux contrôler. Mais même si le travail mental est important, selon moi la clé de mes performances en Égypte a été le physique. Le match contre Salma Hany a duré 70 minutes, mais j'aurais été capable de jouer plus longtemps. J'ai été solide mentalement (et aussi tactiquement, notamment grâce aux conseils de Philippe Signoret), mais c'est avant tout parce j'ai confiance en mon physique.
« J'ai toujours pensé que je pouvais progresser sur le plan physique »
J.E.: Depuis quelques mois, tu as modifié des choses dans ta préparation physique. C'est toi qui as été à l'origine de changement ?
C.A.: Oui, ça vient de moi. Tout au long de ma carrière, je n'ai jamais eu l'impression d'être au maximum de mes capacités physiques. J'ai toujours pensé que je pouvais progresser, et disposer d'un programme individualisé fait la différence. Je ne me suis pas beaucoup entraîné après le championnat de France à cause de ma blessure, mais avec mes coaches on n'était pas inquiets car on savait que le travail effectué en amont me permettrait d'avoir la caisse pour les tournois à venir.
J.E.: À quoi ressemble une journée type pour toi à Nottingham ?
C.A.: Mon fiancé (NDLR : Adam Auckland, qui a évolué sur le circuit pro entre 2013 et 2018) fait une formation de kiné, et je suis son rythme en me levant très tôt tous les matins. J'ai entre 2 et 3 séances par jour. Je fais beaucoup de vélo plutôt que du ghosting afin de minimiser les impacts, c'est assez répandu ici. Je participe aussi à la Premier Squash League, ainsi que d'autres ligues régionales où j'affronte uniquement des hommes.
Entre Coline Aumard et la jeune joueuse Belge Tinne Gilis, c'est l'histoire d'une belle amitié ... (Crédit photo : #SquashByThePyramids)
J.E.: Est-ce qu'ils ont du mal à accepter de perdre contre une femme ?
C.A.: Pas vraiment, ici ils sont habitués à jouer contre des filles dès leur plus jeune âge. Je crois qu'ils n'aiment pas perdre tout court (rires).
J.E.: En début d'entretien, tu parlais de la jeune joueuse Belge Tinne Gilis. Elle s'est installée à Nottingham en début de saison, et on voit sur les réseaux sociaux que vous êtes inséparables.
C.A.: C'est comme ma sœur ! Je dis souvent en rigolant qu'elle et Adam ont des personnalités très proches, et d'ailleurs ils s'entendent très bien.
« Il y a un vrai feeling entre Tinne Gilis et moi »
J.E.: Comment est née cette amitié entre vous ?
C.A.: Elle m'avait battue en demi-finale du championnat d'Europe individuel, en 2016, et après ce match j'ai continué à suivre ses résultats. C'est seulement un an plus tard qu'on a commencé à vraiment se parler, après qu'elle ait dû déclarer forfait pour les Jeux Mondiaux en raison d'une blessure au poignet. Ensuite, elle a commencé à participer aux tournois World Series et on a passé de plus en plus de temps ensemble. On n'a rien forcé, les choses se sont faites naturellement. Elle m'a touchée et il y a un vrai feeling entre nous.
J.E.: Tu ne vas pas pouvoir en profiter tout de suite en raison de l'interruption, mais tu vas normalement obtenir le meilleur classement de ta carrière grâce à ton quart de finale au Black Ball Open.
C.A.: Ça fait quelques temps que je suis autour de la 35ème place, ce qui sur la plupart des tournois Platinum est insuffisant pour être tête de série 17/32. Comme m'a dit Philippe, pour monter au classement il faut savoir saisir sa chance et j'ai su le faire.
Coline Aumard espère prolonger la dynamique impulsée en Égypte ... lorsque le circuit reprendra (Crédit photo : Black Ball Squash Open)
J.E.: Si malheureusement l'interruption se prolongeait, comment occuperais-tu ton temps libre ?
C.A.: J'aimerais en profiter pour visiter l'Angleterre, mais ça dépendra si on peut se déplacer ici. Sinon, Netflix sera mon meilleur ami (rires).
J.E.: Pourquoi ne pas revoir tes matches du Black Ball Open ?
C.A.: On a justement prévu de le faire ce weekend avec Adam.
J.E.: Comment ça se passe, vous mettez sur pause et il fait des commentaires ?
C.A.: Exactement ! C'est une chance d'avoir quelqu'un qui me donne son avis en toute franchise, qu'il soit positif ou négatif. C'est drôle car il sait souvent à l'avance ce que je vais faire sur le court, il me connaît mieux que je ne me connais moi-même …
« Adam me connaît mieux que je ne me connais moi-même »
J.E.: Projetons-nous maintenant sur le long terme. Tu vas avoir 31 ans en juin, t'es-tu fixé une date de fin de carrière ?
C.A.: Je vais te raconter une anecdote : récemment, il y a une personne – dont je ne citerais pas le nom – qui m'a dit, « Alors, c'est ta dernière saison ? » C'est marrant comme les gens veulent t'envoyer à la retraite avant que tu n'y aies pensé toi-même … D'un autre côté, je suis consciente que personne n'est à l'abri d'une blessure grave. Mais je ne me fixe aucune date limite (sic), et tant que j'ai le sentiment de pouvoir progresser, je n'ai aucune raison d'arrêter. Mes résultats au Caire montrent que je suis plutôt dans le vrai, non ? J'aime beaucoup l'expression anglaise « trust the process. » (NDLR : que l'on pourrait traduire par « avoir confiance dans le travail quotidien »). Mais ça ne veut pas dire qu'il faut attendre que les choses arrivent toutes seules et ne pas se remettre en question après une défaite.
J.E.: Je t'ai posé la question car pour une sportive, l'envie d'avoir des enfants peut être un facteur.
C.A.: J'ai la chance, si l'on peut dire, qu'Adam soit plus jeune que moi. Une fois qu'il aura terminé sa formation de kiné, il envisage de reprendre sa carrière professionnelle. Avoir un enfant, ce n'est pas dans nos projets immédiats même si parfois la vie en décide autrement ...