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PHILIPPE SIGNORET : « AMENER LE SQUASH FÉMININ FRANÇAIS À CE NIVEAU ÉTAIT UN VRAI DÉFI »
Équipe de france 21/09/2018Il y a deux ans, l'équipe de France féminine avait décroché la médaille de bronze au championnat du monde, une première dans son histoire, La semaine dernière en Chine, Camille Serme et ses camarades ont renouvelé cet exploit.
Face à une concurrence pourtant encore plus relevée, et pour le plus grand bonheur de leur entraîneur Philippe Signoret. Entretien avec l'un des grands artisans de cette réussite.
La joie du clan Français après cette deuxième médaille mondiale, de l'entraîneur (Philippe Signoret) au président (Jean-Denis Barbet) en passant par les joueuses (Camille Serme, Coline Aumard, Énora Villard, Mélissa Alves) et le kiné (Johan Fauthoux) (Crédit photo : Les Bleues du Squash Destination Chine)
Jérôme Elhaïk : Bonjour Philippe. Avec quelques jours de recul, quel est ton sentiment après cette nouvelle médaille mondiale ?
Philippe Signoret : Après l'excitation d'une compétition, il y a toujours une retombée. Mais ce résultat me procure évidemment une énorme satisfaction, car comme on l'avait dit auparavant c'était loin d'être gagné.
J.E. : Cette réussite, c'est aussi le fruit de la longue préparation que vous avez effectuée ensemble cet été ?
P.S. : Bien entendu, ça y a grandement contribué. C'est marrant parce que certaines personnes m'ont demandé si passer autant de temps ensemble ne pouvait pas être un problème … Mais les filles s'entendent très bien, et j'ai la chance d'en avoir 3 et demi sur 4 au quotidien avec moi à Créteil (NDLR : Coline Aumard réside à Nottingham depuis septembre 2017 mais revient de temps en temps en Île-de-France).
J.E. : Y-a-t-il eu des moments plus importants que d'autres pendant cette période ?
P.S. : Déjà, après en avoir discuté avec Paul Sciberras lorsqu'on est allé à Montpellier début juillet, il est apparu évident que la durée était trop courte pour mettre en place une PPG (préparation physique générale). On est donc tout de suite rentrés dans le volet squash. Ensuite, le stage au Pays Basque a été fondamental. C'est là où on a été tous réunis en même temps, et on a passé de bons moments hors du court. Enfin, je dois dire que les quelques jours à Shanghai ont également été importants. Non seulement parce que les autres filles étaient là pour encourager Camille qui a fait un excellent tournoi, mais aussi parce qu'on a pu s'aérer l'esprit. À Dalian, il n'y avait pas grand chose à faire, et la semaine du championnat du monde s'est résumée à l'hôtel et au gymnase.
De Montpellier au Pays Basque en passant par Monaco et l'Île-de-France, la longue préparation des Bleues a été un élement clé de leur succès (Crédit photo : Les Bleues du Squash Destination Chine, Facebook Camille Serme)
J.E. : Tu disais avoir défini quelques orientations pendant la préparation. Peux-tu préciser ?
P.S. : Sur le plan mental, j'ai vraiment essayé d'atténuer le poids que peut constituer une compétition par équipe. Le but était que les filles se concentrent avant tout sur leur match, sans penser ni à son impact sur la rencontre, ni à ceux de ses équipières. À partir du moment où on est convaincus que chaque joueuse peut ramener un point, ça enlève de la tension. Concernant le jeu, j'ai insisté sur la nécessité de se lâcher sur le court. Je leur ai demandé d'être incisives, et de chercher à marquer le point.
J.E. : Revenons sur le parcours de l'équipe de France, avec notamment cette défaite contre les États-unis en poule.
P.S. : On savait qu'on avait grillé notre joker, et qu'on avait l'obligation de se ressaisir derrière. Mais d'un autre côté, on n'avait pas peur de la Malaisie, même si on avait une petite préférence pour Hong Kong. Concernant le déroulement, il a été un peu bizarre. Camille aurait largement pu gagner son match contre Amanda Sobhy. Elle l'a cramée (sic), au point que l'Américaine s'est demandée comment elle avait pu gagner, mais elle n'a pas su donner le coup de rein nécessaire au moment opportun. Ensuite, Coline n'est pas vraiment rentrée dans son match contre Blatchford. Par contre, je crois que le match de Mélissa a été important. Même s'il n'y avait pas de véritable enjeu, elle a livré une excellente prestation face à Reeham Sedky, malgré la défaite. Ça a permis de relancer la machine, et elle m'a également apporté des certitudes quant à son niveau pour la suite de la semaine.
« La défaite contre les États-Unis a servi d'électrochoc »
J.E. : Deux jours plus tard, il y a donc ce quart de finale face aux Malaisiennes, avec l'assurance d'une médaille en cas de victoire. Et qui commence très bien avec le net succès de Camille contre Nicol David.
P.S. : Elle est rentrée dans ce match tambour battant. Néanmoins, le premier jeu a été serré et le gagner a été crucial. Derrière Camille a déroulé, contre une Nicol qui n'a plus le physique qui était le sien il y a quelques années, surtout qu'elle avait eu un match difficile la veille (NDLR : victoire en 5 jeux face à Annie Au).
Pour Philippe Signoret, la défaite face aux États-Unis a servi d'électrochoc (Crédits photo : Guoxiaoming)
J.E. : Coline avait donc l'occasion d'envoyer la France en demi-finale. Ce qu'elle a fait en battant Sivansagari Subramaniam, qui restait pourtant sur de très grosses performances. Tu as dit à chaud que c'était peut-être le meilleur match de sa carrière, est-ce que tu maintiens cette analyse ?
P.S. : Tout à fait. Elle a été concentrée du début à la fin, ce qui lui fait parfois défaut. Coline a bien abordé le match mentalement, en me disant « c'est moi la joueuse la plus expérimentée des deux et je dois le montrer. » Même si elle a perdu le premier jeu, elle avait eu des opportunités mais sans pouvoir les saisir.
J.E. : Est-ce que vous aviez préparé spécialement ce match, notamment avec la vidéo ?
P.S. : Oui et non, car il n'y a pas beaucoup de temps entre les rencontres et la connexion Internet n'était pas extraordinaire sur place (rires) … Mais on connaissait le jeu de Subramaniam : ce qu'elle fait, elle le fait bien, mais c'est assez simpliste. À partir du moment où Coline est parvenue à se lâcher tout en maîtrisant ses émotions, elle a pris le contrôle. Et quand à 10-8, on voit cette balle à droite qui ne revient pas, c'est une véritable délivrance. L'enjeu de cette rencontre était une place sur le podium, on savait qu'elle serait très difficile à aller chercher cette année et il y avait donc beaucoup de stress.
« Coline m'a dit avant le match contre la jeune Malaisienne, je suis plus expérimentée qu'elle et je dois le montrer »
J.E. : Concernant Coline, penses-tu que cette victoire peut être un déclic pour elle ?
P.S. : Je l'espère vraiment. Si l'on inclut la finale du championnat d'Europe individuel contre Tomlinson, ce match et même le suivant contre Perry en demi-finale, ça fait trois très bons matches cette saison, où elle a réussi à conserver sa concentration de bout en bout. Elle a fait un super championnat du monde, à la hauteur des attentes placées en elle : même si on avait confiance en Énora et Mélissa, on sait aussi qu'elles sont inférieures sur le papier aux numéros 3 des autres grosses équipes, et Coline avait donc un rôle important.
J.E. : Quand on regarde les noms des joueuses classées entre 15 et 30 mondial, on se dit que Coline n'a pas grand chose à leur envier (NDLR : la Française est actuellement 34ème). Es-tu d'accord ?
P.S. : Complètement, le top 15 est tout à fait atteignable. Elle doit se servir de la confiance accumulée ces dernières semaines sur les prochains tournois (NDLR : la Française a malheureusement dû abandonner hier en quart de finale à Hong Kong suite à une violente collision avec la Malaisienne Rachel Arnold et a été transportée à l'hôpital pour y passer des examens). Si elle parvient à ne pas s'éparpiller pendant ses matches et à rester concentrée, il n'y a pas de raison que les résultats ne suivent pas.
Les Françaises ont pu laisser éclater leur joie après la victoire face à la Malaisie (Crédit photo : Guoxiaoming)
J.E. : Pour simplifier, on peut dire qu'il y avait quatre nations pour deux places dans le dernier carré en compagnie de l'Égypte et l'Angleterre, et les deux qui ont terminé premières de leur poule (Malaisie et États-Unis) ont été battues par les deux autres, vous et Hong Kong, en quart de finale. Comment tu l'expliques ?
P.S. : Comme je l'ai déjà dit, la défaite contre les Américaines a été un électrochoc, et pour en avoir parlé avec Thierry (Lincou, entraîneur des États-Unis), ça a peut-être eu l'effet inverse pour elles. Je ne dis évidemment pas que nous ou Hong Kong avons perdu volontairement en poule, mais l'envie de rebondir a fait la différence en quart de finale.
J.E. : Dès le lendemain, il y a eu la demi-finale contre l'Angleterre.
P.S. : On n'a pas eu le temps de savourer, car le quart de finale s'est fini assez tard, et le temps de manger, de faire les soins etc., les filles se sont couchées à une heure du matin. Mais elles étaient très motivées, et la manière dont elles ont abordé la rencontre a montré qu'elles n'étaient absolument pas satisfaites de cette médaille de bronze et qu'elles en voulaient plus.
« Les filles n'étaient pas satisfaites de la médaille de bronze, elles en voulaient plus »
J.E. : Vous avez été souvent battues par les Anglaises en finale du championnat d'Europe ces dernières années. Es-tu d'accord que vous n'aviez jamais été aussi proches ?
P.S. : Oui, sans doute. Coline a fait une très bonne prestation contre Sarah-Jane Perry, le match s'est joué sur quelques « money time. » (sic). Ensuite, Camille a battu Laura Massaro, comme souvent en compétition par équipe (4 fois sur 5). Quant à Mélissa, comme en finale du championnat d'Europe elle a disputé le match décisif, mais cette fois-ci elle a été bien meilleure. Même si la marche est encore trop haute pour elle contre une joueuse comme Alison Waters, ça aurait été intéressant de voir ce qui se serait passé si elle avait pris le troisième jeu (NDLR : la Guyanaise a sauvé une balle de match avant de s'incliner 12-10) …
J.E. : On sait que tu mises beaucoup sur sa progression, qu'as-tu pensé du championnat du monde de Mélissa ?
P.S. : C'est sans doute celle qui a le plus de travail technique à faire. Mais elle a déjà fait de gros progrès sur le plan physique, et dans le jeu de fond de court.
Philippe Signoret fonde beaucoup d'espoirs sur la progression de Mélissa Alves (Crédit photo : Les Bleues du Squash Destination Chine)
J.E. : Quelles sont ses qualités selon toi ?
P.S. : Mélissa a un bras très puissant, et est aussi très intelligente sur un court. Par exemple contre les États-Unis, elle a magnifiquement réussi à contrer la puissance de Reeham Sedky.
J.E. : Un petit mot sur Énora Villard, qui n'a pas joué lors de la phase éliminatoire.
P.S. : Comme je le leur ai expliqué, pendant une compétition par équipe je ne suis plus entraîneur mais sélectionneur, ce qui signifie que je suis amené à faire des choix. Mais j'ai la chance d'avoir à faire à des filles intelligentes, et qui en plus s'entendent bien entre elles. Mélissa a fait une belle prestation contre les États-Unis, alors qu'Énora a fait un match moyen contre l'Inde, et c'est en partie ce qui a influé sur ma décision. C'était son premier championnat du monde, au sein d'une équipe dont la plupart des joueuses ont beaucoup d'expérience. Je pensais qu'elle était un peu stressée, et ça s'est vue.
« La belle prestation de Mélissa contre les États-Unis m'a incité à l'aligner pour les rencontres suivantes »
J.E. : Est-ce que cette médaille est de bon augure avant le prochain championnat d'Europe, et peut-être une nouvelle finale face à l'Angleterre ?
P.S. : Ça servira de base de travail, mais c'est encore trop tôt pour y penser, il y a tellement d'échéances individuelles d'ici là. Juste après le championnat du monde, Coline et Énora sont parties à Hong Kong, et Mélissa a pris l'avion pour le Canada : on l'a contacté au dernier moment pour intégrer le tableau d'un 18 000 $, ce qui est une bonne nouvelle car c'est compliqué pour elle avec le nouveau règlement (NDLR : elle s'est brillamment qualifiée pour les quarts de finale la nuit dernière). Donc chacun reprend sa route … Mais comme j'ai dit aux filles lors du debriefing, j'ai un avantage : hors période de tournois, je travaille avec elles quasiment au quotidien, alors que la plupart des autres sélectionneurs ne savent pas quand ils vont revoir leurs joueuses. À peine la compétition terminée, je pensais déjà à la séance de Camille vendredi (aujourd'hui) !
J.E. : Concernant Camille justement, parles-nous de son début de saison.
P.S. : Elle a effectué une très belle tournée Asiatique. Pour elle, c'est super d'avoir déjà plusieurs victoires références si tôt dans la saison. On avait décidé qu'elle ferait la préparation avec nous puis un tournoi exhibition aux États-Unis plutôt que le championnat d'Europe, il semblerait que le choix ait été payant. Je trouve qu'elle a réussi à élever son niveau de jeu encore plus haut que d'habitude sur certaines séquences, mais par contre elle a aussi eu des trous. Par exemple, elle aurait dû gagner 3-0 contre El Sherbini à Shanghai (NDLR : la Française s'était finalement imposée en 5 jeux).
La semaine précédent le championnat du monde, Mélissa Alves, Énora Villard et Coline Aumard étaient à Shanghai pour encourager Camille Serme sur un tournoi du circuit (Crédit photo : Les Bleues du Squash Destination Chine)
J.E. : Tu es donc optimiste pour la tournée Américaine qui débute dans quelques jours ?
P.S. : Comme je te l'ai déjà dit, je ne suis ni optimiste ni pessimiste, je crois simplement au travail …
J.E. : Revenons un instant sur le championnat du monde. Avec cette deuxième médaille de bronze consécutive, auxquelles on peut ajouter cinq finales Européennes de suite, le squash féminin Français confirme son statut. C'est j'imagine une grande satisfaction ?
P.S. : Tout à fait. Quand des gens comme Thierry Lincou, David Campion, ou Chris Robertson (respectivement entraîneurs des États-Unis, de l'Angleterre et de Hong-Kong) viennent nous dire « well done, » c'est très gratifiant. Amener le squash féminin Français à ce niveau, c'est un défi qu'on s'était lancé il y a longtemps, et pas grand monde n'y croyait au départ. Mais quand on est sur la troisième marche du podium, l'ambition est évidemment de continuer à monter ...
« C'est un plaisir de m'occuper de cette équipe »
J.E. : Est-ce que tu ressens que votre statut a changé vis-à-vis des autres nations ?
P.S. : La problématique des rencontres par équipe avec trois joueuses est toujours la même : quand vous avez la chance d'avoir une numéro comme Camille qui peut battre n'importe qui, il suffit de gagner un autre match ! Les autres équipes savent que Coline en est capable, et en plus ils voient qu'on a des jeunes qui arrivent.
J.E. : On en a déjà parlé avant la compétition, mais l'arrivée d'autres joueuses comme Marie Stéphan ou Julia Le Coq va permettre d'instaurer de la concurrence.
P.S. : Tout à fait. Comme je le dis souvent aux filles, l'équipe de France n'appartient pas aux joueuses qui sont là à l'instant T. À moyen terme, j'aurai en effet la possibilité de faire des choix avec Marie et Julia. J'ai regardé leurs matches à Nantes, elles ont pris des jeux à des joueuses solides. Quand on voit les progrès que Mélissa a fait en quelques mois, on peut penser qu'elles vont suivre le même chemin. Et je n'oublie pas Chloé Mesic, qui était avec nous en 2016 et qui se donne les moyens de réussir. Mais je suis également conscient que la relève tarde à arriver, et que pour l'instant aucune fille plus jeune n'a montré qu'elle avait le potentiel pour atteindre ce niveau.
Pendant l'été, les Bleues se sont rendues dans plusieurs clubs de l'hexagone et ont pu échanger avec les pratiquants (Crédit photo : Les Bleues du Squash Destination Chine)
J.E. : Je trouve que l'équipe de France féminine bénéficie d'une très bonne côte au sein du petit monde du squash Français, et que vous recevez énormément de soutien. Est-ce que vous vous en rendez compte ?
P.S. : Déjà je tiens à dire que c'est un plaisir pour moi de m'occuper de cette équipe. Certes, il peut leur arriver d'être un peu en retard, ou de s'endormir quand on est censés partir (rires), mais ça fait partie de la vie d'un groupe. On passe de superbes moments, comme par exemple en août au Pays Basque. Elles sont toutes différentes, mais ont la même humilité. Ce sont des filles abordables, toujours souriantes et qui n'hésitent pas à donner de leur temps. Je crois aussi qu'on a une belle équipe de France féminine, dans le sens le plus noble du terme : elles font attention à leur manière d'être et à leur apparence, et je pense que les gens apprécient ça. C'est également agréable pour moi, car par exemple je n'ai jamais besoin de leur rappeler de porter la veste de l'équipe de France (rires). Savoir qu'on est soutenus par toute la communauté du squash Français, c'est un évidemment un plus.